vendredi 12 octobre 2012

Sexualité: un tabou dans les médias?

Je m'occupe actuellement du nouveau livre de Georges Lebouc: le dictionnaire érotique de l'argot paru chez Avant-Propos. L'auteur est fort réputé pour les nombreux opus à son actif, du dictionnaire des noms propres devenus communs en passant par ses multiples livres sur Bruxelles et le bruxellois. Quelqu'un de respectable en somme, et de respecté, pour son érudition autant que pour la rigueur dont il fait preuve dans l'écriture et le choix de ses titres.

Une attachée de presse aime travailler pour ce genre de livre parce que, normalement, c'est plus facile que d'autres, l'auteur étant déjà connu des médias, et le sujet se montrant à la fois amusant, intéressant et original. En plus, il est d'usage de penser qu'un peu de sexe fait vendre, comme on le voit pour le livre à paraître tout bientôt chez Lattès et qui fait le buzz: Cinquante nuances de Grey.

Or, quelle ne fut pas notre surprise, à ma collègue et moi, lorsque nous avons essuyé des refus gênés de la part d'une proportion exceptionnelle de journalistes! Voici un exemple d'email reçu de la part d'un journaliste d'un grand quotidien:

Hello (...)

j’ai bien été censuré. Mon article est écrit, mais (...). Ma direction trouve que l’on risque de choquer nos lecteurs. Tout le monde n’est pas aussi ouvert que nous. Je cherche un support sur lequel publier mon article

***

Ce qui est étonnant, c'est que j'ai eu les mêmes problèmes pour la promotion du livre de Catherine Solano et Pascal de Sutter sur l'érection (dont j'ai parlé dans un précédent poste - http://attacheedepresse.blogspot.be/2012/10/le-livre-le-plus-vole-du-monde.html)

Un livre sérieux, qui me semble tout à fait avoir sa place dans les pages santé d'un magazine, d'autant plus qu'il s'agit d'un sujet qui concerne beaucoup de personnes mais que trop peu osent en parler et consulter.

Pourtant ce livre a fait l'objet du même type de censure (on l'a peut-être volé mais ce n'est pas pour autant qu'on en a fait un article!). En témoigne cet email, reçu d'une journaliste d'un hebdomadaire connu:

Bonsoir (...)
 Je suis un peu désolée, je pensais que cela pourrait passer auprès du *** mais…c’est un peu trop hard ! (...)
J’espère que vous comprendrez et que cela ne vous posera pas trop de problèmes pour annuler ce rendez vous (...) Je ne pensais pas que ce serait un problème,(...) mais là, (...)….c’est encore trop tabou, malheureusement ;-))) Vraiment désolée,
 Cordialement,
 ***

Un débat qui prête à réfléchir sur la liberté réelle de la presse mais aussi, puisque, soyons sérieux, celle-ci est surtout dépendante de ses lecteurs (plus de lecteurs, plus de pub), sur la nouvelle perception de la sexualité dans un monde qui abonde en permanence d'images l'évoquant.

Serions-nous devenus prudes et aurions-nous reconstruit des murs autour de ces sujets?

Personnellement je ne suis pas pour l'hypersexualité qui désacralise l'acte et la magie d'un corps qui n'est jamais aussi beau que lorsqu'il est l'objet du désir (loin de certaines chaires tristes qu'on nous impose parfois...), mais je prône l'importance de la liberté d'expression et de penser.

Or, lorsqu'on rend le sexe tabou, c'est aussi son propre esprit que l'on bride, ce qui n'a rien de sain, et peut avoir des conséquences dramatiques lorsqu'on pense par exemple à l'aide que le livre de Solano et De Sutter pourrait avoir sur des hommes qui ont un problème parfois relatif à un ennui de santé plus grave et pourtant n'osent pas consulter.

Ca me rappelle un cours magistral que j'ai suivi en dernière année d'anthropologie à l'université: Culture matérielle et pratiques techniques d'Olivier Gosselain. La "pratique technique" qu'il a choisi de traiter pendant de nombreuses heures n'était autre que la masturbation! Et plus précisément, la façon dont on a rendu cette pratique, initialement naturelle, taboue au fil des siècles, pour des raisons économiques (vendre des produits pour empêcher la pratique masturbatoire), puis récupérée à des fins politiques (l'Eglise face au protestantisme voulait remettre de l'ordre).

Jusqu'à ce que les Hommes intègrent ces préjugés au point que l'ont a retrouvé dans des dictionnaires extrêmement sérieux et à prétention scientifique du XIXe siècle, noir sur blanc, que la masturbation est une pratique extrêmement dangereuse et qu'elle pourrait entraîner tout un tas de maladies abominables et même conduire jusqu'à la mort (si, si!).

Un petit rappel donc de l'origine hautement culturelle de certains tabous, de la construction insidieuse dont ils ont fait l'objet de génération en génération pour se graver dans l'inconscient collectif jusqu'à être naturalisé ici.

Il est évident que le processus de civilisation cher à Norbert Elias est important pour le vivre ensemble, mais il ne doit pas être intégré sans réflexion, de façon bornée, car il en deviendrait dogmatique, ce qui serait contraire à la liberté de penser...mais aussi participerait à cette grande contradiction de notre société occidentale contemporaine: le corps est partout et pourtant on privilégie à ce point la raison qu'on a de moins en moins conscience de lui!

Un sujet à débat je vous disais...

Source de la photo: http://www.oobject.com/10-anti-masturbation-devices/anti-masturbation-clamp-belt/6048/


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